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Biographie

Né en 1963 à Euskirchen (Nordrhein-Westfalen, Allemagne).

  • 1982-1990 : Études de théologie protestante à Bâle, Erlangen et Strasbourg (Maîtrise: 1989, Diplôme d’Études Approfondies: 1990).
  • 1991 : Boursier de la « Studienstiftung des deutschen Volkes ».
  • 1991-1998 : Assistant à "l'Institut für systematische Theologie" à la Faculté de Théologie d’Erlangen.
  • 1995 : Doctorat en théologie , Université d’Erlangen, Allemagne. Thèse: Kultus und Theologie. Dogmatik und Exegese in der religionsgeschichtlichen Schule (Publication en 1996 chez Vandehoeck & Ruprecht, Göttingen).
  • 1998-2004 : Maître de conférences (théologie systématique) à la Faculté de Théologie Protestante de Strasbourg.
  • 2002 : Habilitation en théologie systématique, Université d’Erlangen, Allemagne. Thèse: Inhabitatio. Die Einwohnung Gottes im Menschen (Publication en 2004 chez Vandehoeck & Ruprecht, Göttingen).
  • Depuis 2004 : Professeur de théologie systématique/éthique à la Faculté de Théologie Protestante de Strasbourg.

Les discussions actuelles concernant les "fake news" et la "post-vérité", ainsi que la pratique de l'auto-présentation permanente sur les réseaux sociaux, nous amènent à reconsidérer les questions éthiques de la vérité et de la véracité. Dans une perspective philosophique et théologique, le projet examine trois aspects principaux de cette problématique. Il s'agit tout d'abord de la relation à soi-même, c'est-à-dire de la recherche de la véracité vis-à-vis de soi-même et de la question de savoir dans quelle mesure on peut se mentir à soi-même. Une deuxième partie traite de la véracité dans les relations interpersonnelles : existe-t-il un devoir absolu de dire la vérité ? Est-il possible de définir des règles permettant d'établir une polarité entre vérité et dissimulation – polarité qui semble être conseillée dans les relations entre les personnes ? Une troisième partie aborde le statut fragile de la vérité dans nos démocraties, notamment la remise en cause des "vérités de fait" et la perte de confiance dans la recherche scientifique. Peut-on encore s'accorder sur le fait que la vérité mérite d'être débattue ?

1. Thématique et approche

Au cours des deux dernières décennies, deux phénomènes sociétaux se sont considérablement développés et font désormais apparaître les notions de vérité et de véracité sous un autre jour. Tout d’abord, l’accroissement exponentiel de l’utilisation des réseaux sociaux change la relation de l’usager à soi-même, comme aussi celle à ses interlocuteurs virtuels. L’image virtuelle de soi, délibérément choisie et nourrie, influence la perception de soi et déplace la quête de sincérité et d’authenticité, vis-à-vis de soi et d’autrui, en l’orientant en fonction des images souhaitées. En même temps, notamment depuis le référendum britannique à propos du Brexit (2016) et le début du mandat présidentiel de Donald Trump (2017), les notions de fake news et de post-truth insinuent l’avènement d’une nouvelle ère, succédant à celle de la vérité, une ère qui relativise la quête commune de la vérité et qui conduit au « brouillage des frontières entre vrai et faux, honnêteté et malhonnêteté, fiction et non-fiction »[1].

            Le présent projet de recherche se propose d’analyser les conditions et les possibilités du dire vrai et de la véracité à la lumière de ces évolutions sociétales nouvelles. Une telle recherche invite naturellement à une approche interdisciplinaire. Les questions concernant la vérité, le mensonge, la sincérité et la parrhesia ont été et sont l’objet d’études philosophiques, théologiques et sociologiques. Cette diversité des perspectives et traditions contribue au caractère stimulant de cette thématique, et elle nécessitera un croisement des travaux principaux relevant des disciplines mentionnées.

            En même temps, le projet proposé pourrait combler une lacune de la recherche, en esquissant une éthique actuelle du dire vrai. Parmi les éthiques sectorielles, philosophiques et théologiques, parues dans les deux dernières décennies, on ne trouve guère d’éthiques de la parole. Certes, il y a de nombreuses études afférentes, traitant certaines thématiques spécifiques comme notamment les notions de vérité ou de mensonge. Mais on ne rencontre que rarement une présentation globale et actuelle d’une éthique des actes de langage. En ce qui concerne la théologie, on peut nommer deux essais qui ont été publiés depuis le début du siècle : l’une de la plume de l’éthicien catholique Eberhard Schockenhoff, parue déjà en 2000 et intitulée Zur Lüge verdammt? Politik, Medien, Medizin, Justiz, Wissenschaft und die Ethik der Wahrheit[2]; l’autre, présentant plutôt un survol sur certaines questions dans ce domaine, a été publiée, en 2010, par le jésuite américain James F. Keenan, sous le titre Ethics of the Word.Voices in the Catholic Church Today[3]. Dans le domaine de la théologie protestante des deux dernières décennies, je ne connais aucune éthique de la parole ; on peut néanmoins mentionner un chapitre important de l’Éthique du théologien allemand Wilfried Härle, parue en 2011[4]. Une contribution de la théologie protestante, en dialogue avec les recherches philosophiques et sociologiques respectives et avec un regard particulier sur les débats actuels, notamment autour de la notion de post-truth, pourrait ainsi enrichir la recherche actuelle.

 

2. Structure

Le projet fera état de trois domaines différents du dire vrai et de la véracité et analysera en même temps leurs interactions réciproques éventuelles. Tout d’abord, il y va du rapport au soi, de la parole adressée à soi-même, c’est-à-dire de la possible sincérité vis-à-vis de soi-même ou, inversement, de la possibilité (étonnante) de se mentir, mentionnée déjà par Kant[5] et analysée, de façon emblématique, par Sartre[6]. Comment comprendre la parrhesia, le courage de la vérité, dans le rapport à soi, à la lumière de la doctrine protestante de la « justification par la foi » et de la différence entre la personne et ses œuvres ? Dans quelle mesure l’auto-présentation permanente sur les réseaux sociaux change-t-elle le rapport à soi ? Quelles peuvent être les notions sociologiques et éthiques qui permettent de comprendre et d’orienter ces nouvelles interactions de l’individu avec son alter ego virtuel ?

            Il faudra, deuxièmement, analyser la communication verbale (voire non-verbale) dans les relations interpersonnelles, en tenant compte de la tradition philosophique et théologique, si riche en la matière. Comment se référer aujourd’hui à l’ancien débat à propos d’un devoir absolu de dire la vérité – connu déjà dans les œuvres mentionnées de St. Augustin et dans la controverse entre Benjamin Constant et Emmanuel Kant –, dans un contexte où le concept même de vérité devient douteux ? Comment articuler la quête d’une parrhesia interpersonnelle et les règles de prudence qui semblent indiquer que, parfois, il faut mentir avec courage ? Y a-t-il des formes spécifiques du dire vrai pour des conflits éthiques, comme par exemple dans l’éthique médicale ?

            Dans un troisième temps, l’intérêt portera sur le statut de la vérité au sein d’une société moderne et sa place dans la quête commune du bien. Ce dernier aspect concernera particulièrement le discrédit actuel des vérités de faits et la perte de confiance à l’égard de la recherche scientifique. Ces phénomènes risquent-ils de mettre en danger « le socle commun permettant l’échange et le débat d’idées »[7] ? Comment regagner l’idée qu’il vaut la peine de se disputer à propos de la vérité ?

            La réflexion se nourrira des ouvrages récents problématisant les notions de fake news et de post-truth ; parmi eux, on notera ceux de Keyes[8], McIntyre[9], Esquerre[10], Cosentino[11], Schor-Tschudnowskaja/Benetka[12]. On s’intéressera également à l’impact des réseaux sociaux sur la compréhension de la vérité et de la véracité (cf. par exemple les travaux de Beasley/Haney[13], Beck[14], Stypinska[15]).

 

[1] Myriam Revault d’Allonnes, La faiblesse du vrai. Ce que la post-vérité fait à notre monde commun, Paris, Seuil 2018, 2021 (postface inédite), p. 29.

[2] Eberhard Schockenhoff, Zur Lüge verdammt? Politik, Medien, Medizin, Justiz, Wissenschaft und die Ethik der Wahrheit, Freiburg, Herder, 2000.

[3] James F. Keenan, Ethics of the Word. Voices in the Catholic Church Today, Plymouth (UK), Rowman & Littlefield, 2010.

[4] Wilfried Härle, Ethik, Berlin/NewYork, de Gruyter, 2011, ici le chapitre « Das rechte Wort zur rechten Zeit », p. 429-446.

[5] Emmanuel Kant, Métaphysique des mœurs. II, Doctrine du droit. Doctrine de la vertu, Paris, Flammarion, 1994, p. 283-287 ; il s’agit du § 9 de la première partie de sa doctrine de la vertu, intitulé « Du mensonge ».

[6] Jean Paul Sartre, L’être et le néant, Paris, Gallimard, 1943, p. 85-111 ; il s’agit du chapitre 2, intitulé « La mauvaise foi ».

[7] Revault d’Allonnes, op. cit., p. 138.

[8] Ralph Keyes, The Post-Truth Era. Dishonesty and Deception in Contemporary Life, New York, St. Martin’s Press, 2004.

[9] Lee McIntyre, Post-Truth, Cambridge (MA), MIT-Press, 2018.

[10] Arnaud Esquerre, Le vertige des faits alternatifs. Conversation avec Régis Meyran, Paris, Les éditions Textuel, 2018.

[11] Gabriele Cosentino, Social Media and the Post-Truth World Order. The Global Dynamics of Disinformation, Cham, Springer International Publishing, 2020.

[12] Anna Schor-Tschudnowskaja, Gerhard Benetka, Post-Wahrheit. Über Herkunft und Bedeutung eines modisch gewordenen Begriffs, Berlin, Neofelis, 2021.

[13] Berrin Beasley, Mitchell Haney, Social Media and the Value of Truth, Lanham et al., Lexington Books, 2012.

[14] Klaus Beck, Soziologie der Online-Kommunikation, Wiesbaden, Springer, 2014.

[15] Diana Stypinska, Social Media, Truth and the Care of the Self. On the Digital Technologies of the Subject, Cham, Springer International Publishing, 2022.

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